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Gardien de légende : Higuita et son coup du Scorpion


Stade de Wembley, 6 septembre 1995. L’Angleterre et la Colombie s’affrontent lors d’un match amical. Alors que les deux équipes sont encore à 0-0, les Anglais ont le ballon en attaque sur l’aile droite.

La balle revient au centre vers le milieu de terrain, Jamie Redknapp qui reprend sans contrôle et tente de surprendre la défense adverse par un centre-tir. Mais il est raté et ne semble pas en mesure d’inquiéter le gardien colombien, René Higuita. C’est le moment que ce dernier va choisir pour « piquer » tous les spectateurs dans le stade et devant leur télé en effectuant l’un des plus beaux gestes de gardien de l’histoire de football : le coup du Scorpion.

Le coup du Scorpion entre dans la légende

Alors que le ballon se dirige vers sont but, Higuita recule, se place face à la frappe et, au dernier moment se jette en avant. Au moment où la balle passe au dessus de lui, et alors qu’il est toujours en l’air, le gardien la propulse hors de sa surface à l’aide de ses talons.

« Je n’arrêtais pas d’essayer de faire des choses différentes sur le terrain. J’imaginais des gestes techniques originaux toute la journée et ensuite je les répétais pour pouvoir les réaliser en match. J’aimais sortir de la surface pour dribbler des joueurs, ou amortir les ballons entre les fesses et le sol pour m’asseoir dessus », raconte-t-il des années plus tard dans un entretien accordé à la revue colombienne Revista Soho.

Il avouera également qu’à la base, son intention était plutôt de bloquer le ballon entre ses chevilles. Mais en 1990, alors qu’il tourne un sport publicitaire avec des enfants, en tentant le geste, René dégage involontairement le ballon avec ses talons. Une parade qui tape immédiatement dans l’œil des spectateurs lors de la diffusion de la pub.

Les supporters du Nacional de Medellin, son club d’alors, lui réclament ce geste. Il s’exécute quelque fois à l’entraînement. De quoi ravir ses admirateurs. Mais Higuita ne veut pas en rester là : « Tout le monde était content, mais j’attendais le moment que m’arrive un ballon en cloche et pas trop puissant, à parfaite hauteur, pour pouvoir le réaliser durant un vrai match. »

Et le tir parfait arrive donc ce jour de septembre 1995, à Wembley. « J’ai vu le ballon arriver, je me suis dit «c’est celui-là!» et je me suis lancé, explique le portier. À cet instant, il y a eu dans les tribunes un murmure que je n’avais encore jamais entendu, et que jamais je n’ai réentendu ensuite. C’est après que commencèrent les ovations. »

Un geste jusqu’alors totalement inédit et d’une telle originalité qu’il est encore difficile de le décrire par des mots. Cette figure n’est évidemment pas décisive car le tir anglais n’était pas dangereux et que l’arbitre avait sifflé un hors-jeu mais elle est si difficile à réaliser et accomplie avec tant de classe que, sur le moment, tous les amateurs de foot restent bouche-bée.

Huiguita, ce portier fantasque, dans la pure tradition des gardiens sud-américains, vient de nous scotcher. Et c’est certainement pour des moments tels que celui-là que des millions de personnes aiment regarder des matchs de foot !

Prises de risque

Et ce qui est sûr, c’est que ce bon vieux René, avec sa moustache et sa coiffure toute en volume, longueur et boucles brunes, est un gardien qui sait faire le spectacle. Si le match auquel il participe est nul où si son équipe traverse un passage à vide, on sait qu’on peut compter sur lui pour, l’espace de quelques secondes, égayer la partie.

Malheureusement pour ses coéquipiers, c’est très souvent au prix d’une énorme prise de risque. C’est le cas lors de l’affrontement entre la Colombie et le Cameroun en huitièmes de finale du Mondial 90. Le temps règlementaire s’est achevé sur le score de 1-1. Alors que les deux équipes jouent les prolongations, Higuita sort de sa surface avec le ballon et le perd face à Roger Milla. Ce dernier en profite pour inscrire le but de la victoire pour sa sélection dans le but vide.

Une vie agitée

Un coup dur pour le grand René, mais, malheureusement pour lui, pas le premier ni le dernier. Né le 28 août 1966 dans un quartier pauvre de Medellin, d’une mère célibataire qui meure peu de temps après, René est élevé par sa grand-mère. Son enfance se déroule dans un contexte économique et social très compliqué.

Selon la légende, il serait devenu gardien par hasard, en remplaçant un portier blessé lors d’un match de jeune. Il était plutôt buteur à la base. Un rôle qu’il n’abandonnera pas vraiment puisque René Higuita est également réputé pour avoir marqué plus de 40 buts dans sa carrière professionnelle. La plupart sur coup-franc.

En 2004, Higuita, met sa carrière de joueur entre parenthèses pour entraîner les gardiens de la sélection colombienne et du club de Aucas de Quito, en première division équatorienne. Mais l’aventure est de courte durée : Higuita est contrôlé positif à la cocaïne (Naître à Medellin, ça n’a pas de prix…) et est démis de toutes ses fonctions.

Un coup dur pour lui mais il en faut plus pour abattre « El Loco », comme le surnomment ses coéquipiers et ses fans. L’année suivante, en 2005, Higuita participe à une émission de télé-réalité de relooking extrême (« Cambio Extremo », en VO). Il subi, entre autres, une opération de chirurgie esthétique, devant les caméras. A l’époque René espère que cette apparition à la télé va lui permettre de redémarrer sa carrière.

Et bizarrement c’est la cas. Si bien que deux ans plus tard, en 2007, il rechausse les crampons pour devenir le nouveau gardien de Guaros de Lara, promu en première division vénézuelienne. Il poursuit ensuite en troisième division colombienne, au Deportivo Rionegro. Il a alors 41 ans !

Finalement, le 25 janvier 2010, à l’âge de 43 ans, René Higuita raccroche définitivement les crampons. Il célèbre son jubilé à Medellin devant plus de 20 000 spectateurs. Il gratifie ces derniers de deux de ses spécialités : un but sur coup-franc et, bien entendu, un dernier Coup du Scorpion.

Ce geste qu’il a inventé et qui, selon ses propres mots, « a été si important qu’il m’a rendu plus célèbre que le fait de jouer en sélection, de tirer les coups francs, de dribbler des adversaires jusqu’à l’autre bout du terrain, ou de faire un relooking extrême. Le «Scorpion» m’a laissé une marque indélébile. » Et a laissé un souvenir impérissable dans la mémoire de tous les amateurs de football qui ont eu le plaisir d’admirer cette parade exceptionnelle !